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Au carrefour du droit patrimonial et du droit des sociétés

Publié le 16 novembre 2015

 

Réflexion à partir de deux arrêts récents de la Cour de Cassation

 

Il est très fréquent que le droit des sociétés soit perturbé par l’influence des règles du droit patrimonial de la famille, qui peuvent surgir notamment à l’occasion d’opérations de cessions de titres sociaux.

 

Récemment, la Cour de Cassation a ainsi rappelé qu’un associé ou actionnaire, qui était marié sans contrat de mariage, ne peut pas ignorer les règles du droit patrimonial de la famille lorsqu’il envisage de céder ses titres sociaux postérieurement à la dissolution de son mariage.

 

L’analyse de deux décisions, l’une du 12 juin 2014  et l’autre du 7 octobre 2015 , révèle ainsi qu’il est parfois plus facile pour un associé de céder ses titres sociaux postérieurement à la dissolution de son mariage, lorsqu’il s’agit de titres dits non négociables (par exemple parts sociales de sociétés civiles ou professionnelles) - 1 -, que lorsqu’il s’agit de titres sociaux dits négociables (actions de sociétés anonymes, de SAS…) - 2 -. 

 

1-Hypothèse de la cession de titres non négociables

 

Dans l’arrêt du 12 juin 2014, la Cour de Cassation retient en effet que le conjoint survivant peut, sans l’accord des héritiers de l’époux prédécédé, céder à titre gratuit les parts sociales qu’il détient dans une SCI, alors que la valeur de ses parts est inscrite à l’actif de la communauté résultant de son mariage avec le conjoint prédécédé, et se retrouve donc en indivision entre le conjoint survivant et les héritiers. 

 

La Cour de Cassation a en effet jugé que : 

 

« à la dissolution de la communauté matrimoniale, la qualité d’associé attachée à des parts sociales non négociables dépendant de celle-ci ne tombe pas dans l’indivision post-communautaire qui ne recueille que leur valeur, de sorte que le conjoint-associé peut transmettre son titre sans recueillir l’accord de ses co-indivisaires ». 

 

En l’espèce, les héritiers n’ont donc pas eu le droit de contester la cession à titre gratuit de ces parts sociales transmises à un tiers, et ont de fait été privés de leur valeur dont ils étaient pourtant coïndivisaires. 

 

Tout au plus, ces derniers pourraient revendiquer une créance sur le donateur au titre de la valeur perdue, ce qui supposerait toutefois que ce dernier soit toujours solvable. 

 

Cette décision n’en reste pas moins étonnante dans le mesure où, du vivant des deux conjoints, l’époux ayant la qualité d’associé de la SCI n’aurait pas pu vendre ses parts sociales sans l’accord de son conjoint. 

 

Au cours du mariage, le droit des régimes matrimoniaux soumet en effet la cession des titres non négociables à la co-gestion, qui suppose d’obtenir l’accord des deux époux pour céder ces parts, quand bien même un seul des deux époux aurait la qualité d’associé .

 

2 – Hypothèse de la cession de titres négociables

 

La situation est exactement inverse s’agissant des titres sociaux dits négociables. 

 

En effet, du vivant des époux mariés sans contrat de mariage, l’un des deux époux pourrait céder ses actions sans l’accord de son conjoint, ces biens échappant au domaine de la cogestion pour être soumis au régime de la gestion dite concurrente – soit la possibilité de disposer seul des biens de la communauté. 

 

Mais cette liberté prend fin avec la dissolution de la communauté légale, c’est-à-dire à l’occasion d’un divorce ou du décès de l’un des deux époux.  

 

La Cour de Cassation vient ainsi de rappeler qu’à la dissolution de la communauté, les actions de sociétés ne sont plus soumises à la règle de la gestion concurrente.  

 

En effet, à la date de sa dissolution, la communauté prend la forme d’une indivision post-communautaire et obéit, par voie de conséquence, aux règles propres à l’indivision. 

 

Or pour disposer d’un bien indivis, un co-ïndivisaire doit recueillir l’accord des autres co-indivisaires : à défaut d’accord, la cession de biens indivis leur est inopposable.  

 

C’est ce que vient de juger la Cour de Cassation dans la décision précitée du 7 octobre 2015.

 

En l’espèce, à la suite du prononcé du divorce de deux époux, des actions figuraient à l’actif de la communauté et devaient donc être évaluées pour être partagées. 

 

Toutefois, au cours de cette période post-communautaire, l’un des deux ex-époux avait cédé une partie de ses actions sans l’accord de son ex-conjoint. 

 

L’expert devant évaluer la masse à partager avait donc retenu pour valeur de ces actions, leur prix de cession. 

 

L’autre ex-conjoint a toutefois contesté cette évaluation qui, selon lui, devait être fixée à la date du partage, au motif que la cession de ces actions, réalisée sans son accord, lui était inopposable. 

 

Ce raisonnement a ainsi été approuvé par la Cour de Cassation, qui a jugé que : 

 

           « durant l’indivision post-communautaire, l’aliénation d’actions indivises par un ex-époux seul est inopposable à l’autre, de sorte que doit être portée à l’actif de la masse à partager la valeur des actions au jour du partage », et non au jour de leur cession. 

 

Ainsi, paradoxalement, il apparaît qu’une fois le mariage dissout, les titres sociaux détenus dans des sociétés par actions apparaissent mieux « protégés » que les parts sociales non négociables.  

 

Compte tenu de la complexité des règles actuelles, il est conseillé au chef d’entreprise, ou tout simplement au propriétaire de titres sociaux, qui se retrouve dans la situation de l’époux divorcé ou de conjoint survivant, de bien évaluer sa propre situation patrimoniale et familiale avant de céder seul ses titres. 

 

Symétriquement, cette jurisprudence rappelle à l’autre époux divorcé, ou aux héritiers de l’époux prédécédé, qu’un associé n’a pas nécessairement tout pouvoir sur les titres sociaux acquis au cours de sa vie matrimoniale et qu’ils peuvent donc, à l’occasion de la cession de ces titres ou même postérieurement à cette cession, lui demander des comptes : à bon entendeur… 

 

 

 

 

 

 

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