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Vendanges 2019, un Grand Cru jurisprudentiel

Publié le 13 décembre 2019

L’année 2019 a été marquée par une série de décisions importantes en matière viticole, tant au regard de leur retentissement médiatique, lié à la notoriété des propriétés engagées dans ces procédures et de leurs enjeux qu’au regard des principes juridiques appliqués ou précisés.

 

L’affaire PETRUS, où ses connaissances en matière viticoles protègent le consommateur

 

Par un arrêt en date du 12 juin 2019 la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi contre l’arrêt rendu par la Cour de Bordeaux le 3 avril 2018 qui avait relaxé des poursuites engagées pour tromperie le producteur d’un vin commercialisé sous la marque « PETRUS LAMBERTINI, 2nd vin ».

Saisie sur le fondement de l’article L. 121-2 du Code de la Consommation qui réprime les pratiques commerciales trompeuses, la Cour de Bordeaux a jugé que le vin revêtu de l’étiquette « PETRUS LAMBERTINI, 2ND VIN », n’était pas de nature à porter atteinte à la marque notoire Château PETRUS aux motifs que :

 - Le vin PETRUS LAMBERTINI est revêtu de l’appellation Côtes de Bordeaux, alors que le consommateur sait que le Château PETRUS est un vin d’AOC POMEROL et qu’à supposer qu’il ne le sache pas, il pourra le vérifier aisément de même qu’il pourra également vérifier que PETRUS n’a pas de second vin (mais objectera le commentateur naïf, dans cette affaire, PETRUS LAMBERTNI 2nd vin n’avait quant à lui pas de premier vin…. !) ;

- La différence de prix entre le produit revêtu de la marque Château PETRUS et son homonyme PETRUS LAMBERTINI exclura tout risque de confusion.

Certes la décision est rendue sur le fondement de l’article L. 121-2 du Code de la Consommation et non en vertu des dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle.

Mais il demeure que les principes ainsi retenus sont en contradiction totale avec ceux généralement appliqués lorsqu’il s’agit d’apprécier l’existence ou non d’un risque de confusion en matière de contrefaçon de marque viticole : 

- Le fait que les produits en cause relèvent d’AOP différentes n’est pas généralement considéré comme un facteur pertinent susceptible d’écarter le risque de confusion, étant systématiquement jugé qu’il s’agit de produits, si ce n’est identiques, à tout le moins similaires ;

- Quant à la différence de prix entre le produit authentique et le produit contrefaisant, il s’agit encore moins d’un facteur pertinent, à défaut de quoi toute contrefaçon de produit de luxe commercialisée à bas prix , ce qui est généralement le principe  même de la contrefaçon, devrait recevoir  l’absolution au motif que l’acheteur d’un sac Vuitton à 150 euros ne peut se méprendre sur l’origine du produit, voire ne se méprend aucunement, ce qui exclurait donc la contrefaçon faute de confusion. Cela n’a pas de sens.

La simple différence de fondement textuel (Code de la Consommation d’un côté, Code de la Propriété Intellectuelle de l’autre), ne peut suffire à expliquer la différence de traitement, ce d’autant que dans les deux cas les faits sont susceptibles de recevoir une qualification pénale et qu’en bout de chaine c’est bien le consommateur qui sera visé par la pratique incriminée et qui trinquera.

Tant de mansuétude laisse donc songeur ….

La situation n’est pas insurmontable pour les marques notoires, comme l’est CHATEAU PETRUS, qui peuvent faire sanctionner l’imitation dont elles sont victimes, indépendamment de tout risque de confusion, sur le fondement de l’exploitation illicite de leur notoriété.

En revanche, si une interprétation aussi libérale devait être transposée dans le domaine des actions en contrefaçon, elle compliquerait singulièrement la tâche des victimes qui, en présence d’une imitation, comme en l’espèce, doivent démontrer l’existence d’un risque de confusion entre le produit protégé par la marque authentique et le produit contrefaisant, pour triompher dans leur action.

 

L’affaire CHATEAU CLINET, où son ignorance en matière viticole protège le consommateur

 

L’AOC POMEROL  était également à l’honneur dans l’arrêt rendu le 29 mars 2019 par la Cour d’Appel de Paris.

Le GFA de l’EGLISE CLINET, exploitant le prestigieux domaine éponyme situé en AOC POMEROL, a saisi le Tribunal puis la Cour de Paris d’une action en nullité de la marque « RONAN BY CLINET » exploitée par son voisin, la SARL GROUPE CLINET, pour commercialiser un vin de négoce d’AOC BORDEAUX, étant précisé que le GROUPE CLINET exploite également en AOC POMEROL une propriété dénommée CHATEAU CLINET.

L’action était fondée sur les dispositions de l’article L. 711-3 du CPI qui interdit d’adopter comme marque ou élément de marque un signe de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service.

Selon le GFA de l’EGLISE CLINET, la marque verbale « RONAN BY CLINET», qui comprend le terme géographique CLINET, évoquerait pour le consommateur une origine géographique et un vin de qualité issu de POMEROL et serait donc déceptive dès lors qu’elle serait de nature à tromper le consommateur sur la provenance géographique et la qualité du produit qu’il pourrait notamment confondre avec du Château CLINET ou prendre pour une déclinaison de la marque de ce domaine.

La tromperie, donc, toujours, mais vue cette fois sous l’angle du droit des marques et non plus du Code de la Consommation.

La Cour de Paris, après avoir relevé que les vins Château L’EGLISE CLINET et Château CLINET bénéficient d’une grande réputation auprès des professionnels, relève que cette notoriété n’est en revanche aucunement établie auprès des consommateurs du produit.

La Cour relève au contraire que le consommateur d’attention moyenne ne sait pas caractériser correctement les appellations et encore moins distinguer les noms de Château.

En toute logique, la Cour écarte donc le risque de tromperie : ne sachant pas que CLINET est un vin d’AOC POMEROL, le même mot apposé sur une bouteille contenant du vin AOC BORDEAUX n’amènera pas le consommateur à penser qu’il achète un vin d’AOC POMEROL.

Quant à la référence géographique usurpée du nom toponymique CLINET, désignant certaines parcelles de l’exploitation, la Cour relève que : 

- s’il existe un tènement CLINET , il n’est pas démontré que le terme serait en lui-même évocateur d’une provenance géographique ;

- en outre, les vins produits par les deux châteaux portant ce nom ne sont majoritairement plus produits sur des terres portant ce nom.

La présentation adoptée « RONAN BY CLINET » sera donc évocatrice de la raison sociale du groupe CLINET, et non d’une provenance géographique.

La tromperie est donc définitivement écartée mais pour des raisons opposées à celles qu’avait retenues la cour de Bordeaux dans l’affaire PETRUS : pour la cour de Bordeaux, le consommateur de vin est un consommateur averti, actif, qui connaît le produit et se livrera à des recherches complémentaires s’il a un doute.

Pour la cour de Paris, le consommateur est un consommateur peu informé qui n’a aucune connaissance du produit et des appellations…

 

L’affaire  CHATEAU FIGEAC, un peu de clarification 

 

Saisie cette fois d’une demande de déchéance de la marque Château FIGEAC, sur le fondement de l’article L. 714-6 du CPI, selon lequel « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque devenue de son fait…/…   propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou service », le demandeur reprochait au prestigieux Château FIGEAC de ne pas justifier que les trois vins Château FIGEAC, PETIT FIGEAC  et LA GRANGENEUVE DE FIGEAC, commercialisés sous les marques toponymiques FIGEAC, faisaient bien l’objet d’une traçabilité et d’une vinification séparée.

Le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux lui avait donné raison en première instance, en annulant les marques Château Figeac et Château de Figeac pour déceptivité, c’est-à-dire comme étant susceptibles d’induire en erreur le consommateur sur la provenance des produits.

C’était là nier le principe même de l’institution d’un deuxième, voire troisième vin, qui a vocation, par hypothèse à recueillir les raisins moins qualitatifs du domaine, dont la sélection est soumise à des alea, depuis la récolte (les raisins issus des vignes les plus jeunes étant à titre d’exemple généralement réservés aux vins les moins prestigieux) jusqu’à l’assemblage final, qui aboutira à la sélection des meilleures cuvées du millésime pour l’élaboration du premier vin.

La Cour de Bordeaux rétablit justement la situation.

Elle rappelle en premier lieu que s’agissant de l’assemblage, aucune obligation légale ou règlementaire n’exige une vinification séparée des premiers, seconds et troisièmes vins d’un même domaine, étant souligné, au demeurant que le principe même d’une telle classification, bien connue d’un public éclairé, est de sélectionner la part la plus qualitative de la récolte produite sur le domaine et de l’affecter à l’assemblage du premier vin, généralement classé, afin de garantir à ce produit une qualité optimale et constante.

La Cour ajoute que l’article 6 du Décret du 4 mai 2012 précise que seuls les vins figurant au titre de la déclaration de récolte et au titre de la déclaration de production de l’exploitant, au sens des articles 8 et 9 du Règlement 436/2009 du 26 mai 2009 peuvent bénéficier du nom de l’exploitation, ce qui était le cas en l’espèce.

Le premier vin est par ailleurs conforme à la règlementation prévue par l’article 7 du même Décret, qui exige que le vocable Château soit réservé aux vins bénéficiant d’une d’AOP lorsque ces vins sont issus de raisins récoltés sur une exploitation ainsi exactement dénommée et vinifiés dans cette exploitation.

L’arrêt rendu vient donc rassurer la profession en rappelant quelques principes :

- Seuls les vins issus de l’exploitation peuvent bénéficier de ce nom ;

- Le terme Château est réservé aux vins issus de raisins récoltés sur une exploitation ainsi exactement dénommée et vinifiée dans cette exploitation ;

- Tous les vins issus de cette exploitation peuvent bénéficier de ce nom.

 

L’affaire BORDEAUX DE MAUCAILLOU, un coup de théâtre dans un ciel bleu

 

L’année 2019 avait ainsi gratifié la profession d’une jurisprudence que l’on pouvait qualifier de magnanime, en matière de tromperie, même si l’on peine parfois à réconcilier les motivations de tous ces arrêts … jusqu’au jugement rendu le 12 décembre dernier par le Tribunal Correctionnel de Bordeaux. 

Dans cette affaire, une société de négoce était poursuivie pour avoir commercialisé sous un nom incorporant la marque toponymique Château Maucaillou un vin de négoce ne provenant pas de l’exploitation portant ce nom et relevant d’une appellation distincte.

Les décisions précitées pouvaient lui laisser augurer une issue favorable.

Mais, à rebours de la décision RONAN BY CLINET, le négociant est condamné pour pratiques commerciales trompeuses, visées par l’article L.121-2 du Code de la Consommation, au motif que la présentation visuelle du produit, reprenant notamment la représentation du Château, est de nature à laisser penser au consommateur que le vin de négoce proviendrait du Château MAUCAILLOU.

Tout est une question de dosage …

La décision n’est à ce jour cependant pas définitive de sorte que le débat n’est pas clos.

 

Un bilan finalement contrasté

 

La pratique des seconds et troisièmes vins est validée sans réserve et sans conditions autre que leur provenance de l’exploitation.

Il ne serait pas interdit, mais pas sans risque, à une marque de négoce d’incorporer un toponyme.

Une stratégie « habile » n’expose pas son auteur à une condamnation pour tromperie.

Reste à savoir où s’arrête l’habileté et où commence la fraude.

Une question de verre à moitié vide ou à moitié plein….

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