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Actions de préférence : de l'ombre à la lumière

Publié le 26 octobre 2018

Faciliter le financement en fonds propres des entreprises représente un enjeu majeur pour leur développement.

 

Le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (loi PACTE), actuellement en cours de discussion au Parlement et déjà dénoncé par certains comme un texte fourre-tout, contient diverses dispositions visant à rendre plus attractif le régime juridique des actions de préférence, vis-à-vis des PME, des ETI et des start-up.

Avant même l’adoption de ce texte en 2019, il nous apparaît intéressant de (I) rappeler les principales caractéristiques et les avantages attachés aux actions de préférence avant (II) d’apprécier l’intérêt des améliorations à venir.

 

I -Qu’est ce qu’une action de préférence ?

 

1.1 - Tout comme une action ordinaire, il s’agit d’un titre en capital. Mais à la différence d’une simple action ordinaire, ce titre ouvre droit pour son détenteur à des avantages particuliers de toute nature, de manière temporaire ou définitive.

 

Introduite par l’ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, la création d’actions de préférence est rendue possible, soit à la constitution de la société, soit au cours de son existence. En pratique, les droits attachés aux actions de préférence doivent être précisément définis dans les statuts des sociétés autorisées à les émettre, à savoir  les sociétés par actions, exclusivement (SAS, SA, et sociétés à commandites par actions). 

Les prérogatives auxquels ouvrent droit les actions de préférencepeuvent être organisées à plusieurs niveaux, afin de répondre à divers besoins : préserver par exemple un actionnariat stable et durable au sein de l’entreprise, organiser l’entrée d’investisseurs, fidéliser certains collaborateurs performants ou encore anticiper la transmission de l’entreprise, grâce à un accès progressif des héritiers et futurs managers.

 

1.2 - Quels types de droits peut-on envisager ?

 

La souplesse conférée par les actions de préférence est relativement importante. Ainsi peut-on par exemple attribuer au titulaire un droit de vote modifié, de manière temporaire ou définitive ; la société mettra alors en place des actions : 

-  sans droit de vote (à condition que ces titres ne représentent pas plus de la moitié du capital social pour les sociétés non cotées) ; 

-  ou avec un droit de vote supérieur à celui attaché aux actions ordinaires, comme par exemple un droit de vote double, voire multiple comme nous le verrons plus loin.

La société peut également décider de créer des actions de préférence auxquelles sont attachés des droits financiers privilégiés, notamment en matière de bénéfices (droit à un dividende prioritaire ou préciputaire, dividende cumulatif, progressif, etc…).

Rien n’interdit de conférer par ailleurs d’autres droits : c’est notamment le cas pour les sociétés de capital investissement qui négocient souvent un droit d’information renforcée ou le droit à l’attribution de sièges au sein d’un comité de surveillance ; c’est également le droit de solliciter un audit, de bénéficier de conditions préférentielles de revente des titres, ou encore du droit prioritaire à la perception d’un boni de liquidation, le tout étant bien évidemment de respecter les limites fixées par le code de commerce, à savoir :

- l’interdiction des pactes léonins, qui consistent à priver un actionnaire de tout droit au bénéfice ; 

-  l’interdiction de prévoir un intérêt fixe sur le résultat,

- l’interdiction de distribuer des dividendes en l’absence de bénéfice distribuable.

 

1.3 - C’est ainsi que les sociétés qui souhaitent privilégier le maintien d’un actionnariat stable dans la durée pourront mettre en place des actions de préférence en ouvrant de manière adaptée leur capital, dans le but d’éviter une trop grande dilution des droits politiques et financiers. L’idée consistera alors à accorder un poids plus important aux votes des actionnaires fondateurs lors de tours de table réalisés par différents investisseurs.

 

Les start-up, pour lesquelles le recours au crédit bancaire n’est pas vraiment adapté, souhaiteront quant à elles concilier apport en capital (par l’investisseur) et maîtrise du pouvoir (par les porteurs de projet). La mise en place d’actions de préférence pourra, là encore, constituer un outil pertinent pour concilier les différents intérêts en jeu.

Certains dirigeants pourront même trouver au travers des actions de préférence, un moyen intéressant de dissocier les droits pécuniaires des droits extra pécuniaires et d’organiser ainsi un schéma juridique « sur mesure » de transmission progressive de leur propre société, dans la continuité du cadre familial, en articulant par exemple donation-partage, actions de préférence (en lieu et place d’un démembrement des titres en usufruit / nue propriété) et pacte Dutreil

Bien évidemment, la mise en place de ce type d’outil juridique doit s’opérer dans le respect à la fois des règles fixées par les statuts sociaux, mais aussi du pacte d’actionnaires s’il en existe un, ainsi que des procédures imposées par le droit des sociétés (articles L 228-11 et suivants du Code de commerce). 

Force est cependant de reconnaître que les actions de préférence demeurent relativement méconnues de la plupart des chefs d’entreprises et sont encore considérées, à raison, comme difficiles à manier.

 

II - Vers une modernisation des actions de préférence ?

 

L’objectif du projet de loi PACTE est de faire en sorte que les actions de préférence puissent constituer un instrument juridique plus souple encore d’utilisation qu’il ne l’a été jusqu’à présent, à l’exemple des Preferred Shares outre Manche ou aux Etats-Unis notamment.

Plusieurs modifications devraient ainsi voir le jour dans quelques mois :

 

2 1 - Les actions de préférence à droit de vote multiples seraient consacrées. Notre droit des sociétés repose en effet sur le principe de proportionnalité du droit de vote à la détention au capital social. En vertu de ce principe, il n’est légalement pas possible de créer un droit de vote multiple attaché à une catégorie d’actions, la législation actuelle autorisant uniquement la création d’un droit de vote double sous certaines conditions (article L 225-123 du code de commerce). 

 

Il devrait être possible à l’avenir de s’affranchir de ce principe puisque le projet prévoit que non seulement les SAS mais aussi les SA et SCA non côtées pourront émettre des actions de préférence à droit de vote plurale ou multiple.

 

2.2 - Pour ne pas entraver le financement des entreprises, il est également question de rendre plus claire l’utilisation les règles relatives au droit préférentiel de souscription attaché aux actions de préférence. 

 

Pour rappel, le droit préférentiel de souscription prévu par l’article L 225-132 du Code de Commerce  offre la possibilité à chaque actionnaire de souscrire aux actions émises pour la réalisation de toute augmentation de capital en numéraire, à proportion de sa part dans le capital social.

Cette règle, dont on comprend qu’elle protège les actionnaires contre les effets dilutifs d’une opération d’augmentation de capital, a vocation à s’appliquer, sans distinction aux actions ordinaires comme aux actions de préférence. 

Or, certains investisseurs peuvent parfois demeurer indifférents aux évolutions du capital de la société et à la faculté qui leur est légalement réservée de pouvoir souscrire ultérieurement à de nouvelles actions. 

Si d’aventure la société souhaite réaliser une augmentation de capital réservée à un ou plusieurs investisseur(s) en particulier, elle doit supprimer les droits préférentiels de souscription attachés à toutes les actions existantes lors d’une assemblé extraordinaire. Il conviendra alors de convaincre le ou les titulaire(s) d’actions de préférence de venir participer à cette assemblée, à défaut de quoi l’augmentation de capital ne pourra s’envisager. 

Le projet de loi PACTE prévoit de supprimer purement et simplement le droit préférentiel de souscription attachés aux actions de préférence, sauf pour leurs titulaires à en négocier expressément le maintien dans les statuts de la société.

Un choix est donc fait entre deux intérêts contradictoires : d’une part, celui de l’actionnaire dilué en droits de vote et, d’autre part, celui de la société décidant de l’augmentation de son capital par l’entrée de nouveaux investisseurs et des financements en fonds propres correspondants.

 

2.3 - Une dernière amélioration prévue dans le projet de loi PACTE mérite également d’être relevée, concernant l’émission des actions de préférence.

 

En effet, la création d’actions de préférence au profit d’un ou de plusieurs actionnaires nommément désignés nécessite aujourd’hui de recourir à la procédure dite « des avantages particuliers » et à l’intervention préalable d’un commissaire du même nom. 

Cette procédure a pour finalité de prévenir un risque de rupture d’égalité entre les actionnaires existants et les nouveaux actionnaires, titulaires d’actions de préférence. 

Une ambiguïté demeurait jusqu’à présent sur le fait de savoir si cette procédure (dont il faut hélas déplorer la relative lourdeur) vise les seules personnes actionnaires ou également celles appelées à le devenir. 

Pour clarifier les choses, il est prévu que cette procédure devra être suivie lors de l’émission d’actions de préférence, au profit d’une ou plusieurs personnes nommément désignées, actionnaires ou non de la société. 

Ces différentes améliorations ne manquent pas d’intérêt.

 

Rendez-vous donc en 2019 pour savoir si les actions de préférence sortiront définitivement de l’ombre pour passer à la lumière. On peut toutefois regretter que pour rendre les actions de préférence encore plus attractives, le législateur n’ait pas osé franchir le pas et imaginer une garantie de rémunération minimale, dès lors qu’un résultat distribuable est constaté par la société (Cf. interdictions posées par les articles L 232-12 et L 232-15 du code de Commerce).

LEXYMORE et son équipe M&A - Droit des Sociétés se tient à votre disposition pour vous conseiller et établir le contenu sur mesure des clauses que vous souhaiteriez appliquer lors de l’émission d’actions de préférence en fonction de vos objectifs et contraintes de développement.

Article rédigé par :

Ronan LE MOIGNEAvocat Associé

Ronan LE MOIGNE intervient depuis de nombreuses années dans les principaux domaines du droit des affaires. A ce titre, il est régulièrement amené à conseiller les...

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