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Pourquoi la taxe sur les spectacles est-elle confiscatoire

Publié le 06 septembre 2010

A la suite de la parution de mon précédent article sur la QPC concernant la taxe sur les spectacles, certains lecteurs m'ont demandé en quoi cette taxe était-elle confiscatoire. Voici la réponse.

 

La taxe sur les spectacles est un impôt, fort peu connu, prévu par les articles 1559 et suivants du code général des impôts (CGI).

 

Cette taxe, imaginée à l'origine pour pallier l'exonération de TVA dont bénéficiaient les spectacles, a peu à peu été vidée de sa substance, comme le montrent les trous béants de la tarification de l'article 1560.

 

« I. Le tarif d'imposition des spectacles est fixé dans le tableau ci-après :

NATURE DES SPECTACLES, JEUX ET DIVERTISSEMENTS / TARIF.

PREMIERE CATEGORIE :

A : néant

B : Réunions sportives autres que celles classées en 3e catégorie : 8 %.

DEUXIEME CATEGORIE : ...

TROISIEME CATEGORIE :

Courses d'automobiles, spectacles de tir aux pigeons : 14 %.

QUATRIEME CATEGORIE :

Cercles et maisons de jeux :

Par paliers de recettes annuelles :

Jusqu'à 30 490 euros : 10 %.

Au-dessus de 30 490 euros et jusqu'à 228 700 euros : 40 %.

Au-dessus de 228 700 euros : 70 %. »

 

Il reste qu'elle s'applique aujourd'hui à encore quelques catégories de manifestation sportives (encore que, dès lors que l'enjeu est d'importance ou politique, comme la coupe du monde de rugby, le Parlement prend une loi pour en exonérer les matchs - cf. L. 2006-1666 du 21 décembre 2006 art. 25) mais surtout principalement aux « cercles et maisons de jeux », selon des tarifs prohibitifs.

 

La taxe sur les spectacles est en effet un impôt basé sur les recettes annuelles et dont le taux est donné par l'article 1560 du CGI. Pour les spectacles de quatrième catégorie, il s'agit de taux progressifs par tranche :

-jusqu'à 30 490 euro de recettes annuelles : 10%

-de 30 490 euro à 228 700 euro : 40%

-au-delà de 228 700 euro : 70%.

 

Le graphique suivant montre le taux effectif de la taxe en fonction de recettes brutes (voir en bas de page).

 

On peut constater que le taux effectif de la taxe atteint rapidement 30%, aux environs de 90 000 euro de recettes, dépasse 40% à 260 000 euro et 50% à 390 000 euro.

 

Il convient de bien souligner que l'impôt s'applique aux recettes annuelles, c'est à dire au chiffre d'affaires généré par l'activité et non au bénéfice. Cet élément est fondamental pour l'appréciation du caractère confiscatoire de la taxe. Car il ne s'agit pas de comparer le taux effectif de la taxe avec un taux d'imposition global des revenus. La base de comparaison serait totalement fausse.

 

En effet, la taxe sur les spectacles est due quel que soit le résultat de l'activité assujettie, de sorte que, selon le niveau de bénéfice atteint, la taxe peut facilement représenter la totalité de ce bénéfice, voire plus.

 

Ainsi par exemple, si l'activité assujettie génère un bénéfice de 15% d'un chiffre d'affaires de 300 000 euro, soit 45 000 euro, la taxe sur les spectacles d'un montant de 132 243 euro va générer un déficit de 87 342 euro, soit plus de 29% du chiffre d'affaires ! Le taux d'imposition par rapport au revenu est alors de 294 %.

 

Le graphique suivant permet d'appréhender, pour des recettes brutes annuelles de 300 000 euro, le taux d'imposition de la taxe sur les spectacles en fonction du bénéfice réalisé (présenté en % du CA - voir en bas de page).

 

On constate que, quel que soit le niveau de résultat de l'activité, le taux d'imposition du bénéfice est supérieur à 100%, ce qui signifie que la taxe sur les spectacles génère systématiquement un déficit, quel que soit l'effort de l'assujetti pour produire un résultat.

 

L'exploitant de l'activité assujetti doit alors, pour financer le déficit généré par la taxe, utiliser son patrimoine propre et est donc conduit à s'appauvrir.

 

 

 

 

Le caractère confiscatoire d'un impôt peut être apprécié tant du point de vue des règles législatives en vigueur que de la jurisprudence actuelle.

 

Ainsi le législateur a-t-il conçu en 2005 un dispositif visant à plafonner l'ensemble des impôts à une fraction des revenus. D'abord fixée à 60%, cette limite a été abaissée à 50%. La motivation de ce dispositif est d'éviter le caractère confiscatoire de l'impôt, sous toutes ses formes. C'est ainsi en ces termes que le ministre délégué au budget a qualifié la mesure lors des débats devant l'Assemblée Nationale :

 

« Notre dispositif a effectivement vocation, et nous l'assumons, à mettre « les pieds dans le plat » à propos de la surtaxation. [...] Nous devons assumer cette progressivité de l'impôt sans pour autant nous engager dans une logique confiscatoire [...]. » (JOAN 2e séance du 16 novembre 2005 p. 6911)

 

La décision du Conseil Constitutionnel, saisi de la conformité de ce dispositif avec la Constitution, a rappelé, avant de valider l'article en cause (Décision N° 2005-530 DC - 29 décembre 2005) :

« Considérant que l'article 13 de la Déclaration de 1789 dispose : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés " ; que cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives; »

 

Ainsi, le Conseil Constitutionnel a pu considérer que le dispositif dit du « bouclier fiscal » permettait d'éviter que l'impôt revête un caractère confiscatoire, ce qui serait le cas dans l'hypothèse où l'ensemble des impôts dépasseraient 60% des revenus du contribuable.

 

Une limite a donc été posée au plan constitutionnel du taux d'imposition global par rapport au revenu.

 

 

La jurisprudence contient également des précisions sur ce que constitue un impôt à caractère confiscatoire dans diverses décisions du juge judiciaire concernant l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Il ressort de cette jurisprudence, basée sur la protection de la propriété privée, que le caractère confiscatoire d'un impôt est établi dès lors que cet impôt conduit à « l'aliénation forcée du patrimoine » de l'assujetti et/ou à « l'absorption intégrale des revenus disponibles » (cf. notamment Cass. Com 13 novembre 2003 n° 01-15611, Binet ; RJF 03/2004 n° 325)

 

 

Or la présentation de la taxe sur les spectacles ci-dessus a permis de constater que les taux d'impositions par rapport au revenu, c'est à dire au bénéfice de l'activité taxée, étaient systématiquement, au moins à partir d'un certain niveau de recettes brutes, supérieurs à 100%. La taxe est donc non seulement supérieure au taux de 60% que le législateur et avec lui le Conseil Constitutionnel considère comme une limite au-delà de laquelle l'impôt devient confiscatoire, mais elle conduit également à « l'absorption intégrale des revenus disponibles » du contribuable au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation.

 

On ne peut donc que conclure à la contrariété de la taxe sur les spectacles d'une part avec le droit à la propriété privée protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, d'autre part avec la proportionnalité de l'impôt aux facultés du contribuable, principe fixé par l'article 13 de la même Déclaration.

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