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Les opérations de fusions-acquisitions à l’épreuve du COVID 19

Publié le 03 juillet 2020

La période est inédite à plus d’un titre.

D’abord sanitaire, la crise générée par la propagation de la pandémie liée au COVID 19 menace à présent plusieurs secteurs économiques. Les entreprises et leurs dirigeants gèrent les priorités : sécurité sanitaire de leurs salariés, consolidation de leur trésorerie, continuité et/ou reprise de leur activité.

Dans un tel contexte, les opérations d’investissement, de croissance externe et, plus généralement, de fusions-acquisitions (opération de M&A) passent en second plan.  

L’absence de visibilité, tant sur la durée de la crise que sur l’intensité de ses effets économiques, a déjà conduit certains à reporter leurs projets. Les opérations de fusions-acquisitions qui se sont signées au cours de la période récente ou qui se débouclent à présent, correspondent souvent à des projets qui étaient, pour la plupart, déjà très avancés ou en cours de finalisation lors de la période de confinement.

Quels impacts l’onde de choc générée par le COVID 19 a-t-elle sur la pratique des opérations de fusions-acquisitions ? Quels enseignements à la fois juridiques et pratiques tirer pour mieux anticiper la gestion de ce type d’opérations ?

L’état d’urgence sanitaire déclaré le 23 mars 2020 (loi n° 2020-290 du 23 mars 2020) est prolongé jusqu’au 10 juillet prochain. Il a conduit, depuis le début de la crise, à la mise en œuvre par voie d’ordonnances, de décrets et d’arrêtés, à de très nombreuses mesures de soutien aux entreprises.

 

(1) Quel est l’impact du COVID 19 sur les opérations de M&A ?

 En matière de fusions-acquisitions, l’impact du COVID 19 diffère selon le stade d’avancement de l’opération, soit que celle-ci se trouve dans une phase de pourparlers, soit au stade de l’audit d’acquisition (« due diligence »), soit encore au stade de la signature et de la réalisation de l’opération proprement dite (« signing / closing »).

Toutes ces opérations, quelles que soient leurs tailles, donnent lieu à la négociation puis à la mise en œuvre d’accords contractuels, plus ou moins denses. En droit, il s’agit donc avant tout d’ingénierie contractuelle. A ce titre, l’article 1104 du code civil dispose que : « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ».

Au stade des pourparlers, lors de la période de confinement que nous avons connue, les parties auront décidé, soit de reporter leurs discussions à des jours meilleurs, soit de renoncer purement et simplement à leur projet compte tenu de l’incertitude de la situation. La pandémie semble en effet constituer une raison suffisante pour se retirer des discussions, sans encourir le risque d’une rupture brutale des pourparlers.

En revanche, il n’en va pas de même lorsqu’une lettre d’intention a été signée et qu’a fortiori une promesse d’achat a été établie. Chacun est alors tenu contractuellement par les engagements souscrits. Tant l’acquéreur et/ou l’investisseur que les actionnaires cédants devront prendre en compte le facteur temps et apprécier au mieux, l’impact immédiat ou à terme, du COVID-19 sur l’activité et/ou les actifs de la société cible. 

 

(2) La généralisation d’outils existants : data room électroniques et signatures électroniques 

La période de confinement n’a pas eu que pour seul effet de généraliser le recours au télétravail. Elle va également accélérer la digitalisation d’un certains nombres de tâches dans le processus des opérations de M&A, notamment le recours aux plateformes de signature électronique à distance. Attention toutefois au choix de la solution retenue en la matière, tant en termes de stockage et de protection des données qu’en termes de niveau de sécurité, celui-ci devant être appréciée au regard de la norme européenne eIDAS.

Les travaux d’audit (due diligence) préalables à toute opération et dont les conclusions participent parfois à la fixation du prix et au périmètre des déclarations et garanties qui seront ensuite souscrites par les cédants, pourront être plus étendus, afin d’anticiper à l’avenir une situation telle que celle générée par le COVID 19 (quid du maintien de l’activité de la cible en cas de nouvelle pandémie, de la poursuite des contrats en cours, de l’existence de procédures suffisantes en matière d’hygiène et de sécurité ou encore des accords salariaux en cas d’arrêt d’activité ?).

La pratique des audits renforce encore plus l’usage, déjà répandu, de la Data Room électronique.

Celle-ci permet à l’acquéreur et à ses conseils et, plus généralement, aux différents intervenants habilités (investisseurs, banquiers, …) l’accès sécurisé et à distance aux données confidentielles de l’entreprise cible. Cet usage et la numérisation de la documentation juridique n’exonèrent cependant pas les parties d’organiser les visites sur sites (due diligence opérationnelles ou environnementales par exemple, ainsi que les rencontres avec le management de la cible). Mais le temps nécessaire à ces étapes doit être pris en compte pour adapter le calendrier en fonction des contraintes imposées en matière de déplacement et de mesure de distanciation sociale, comme cela a été le cas lors de la période de confinement. 

A l’avenir, les acquéreurs seront bien avisés de compléter l’audit habituel des données comptables, financières, juridiques et fiscales de l’entreprise cible pour s’interroger au-delà, sur la manière dont celle-ci pourrait, dans le cadre de son activité, surmonter une crise sanitaire similaire (seconde vague liée au COVID 19, nouvelle pandémie…) : résilience de  la chaine logistique d’approvisionnement en matière industrielle, modalités de mise en marché des produits ou services de l’entreprise, niveau de dépendance aux clients / fournisseurs, ou encore capacité à réorganiser ses équipes.

Si la conduite de cette phase d’audit peut nécessiter des délais de traitement plus ou moins longs, les parties étendront opportunément la période d’exclusivité durant laquelle elles voudront enfermer leurs négociations. 

Mais surtout, la documentation juridique élaborée pour l’opération devra faire l’objet d’une attention toute particulière. C’est là l’un des autres enseignements que l’on peut tirer de la période récente.

 

(3) Le soin apporté à la documentation juridique de l’opération

Un soin tout particulier devra en effet être apporté concernant plusieurs points clés, propres aux opérations de M&A :

 

(i) les conditions suspensives et les délais de réalisation 

Pour les opérations en cours ayant donné lieu à la signature d’une promesse ou d’un compromis, il est clair que les cédants voudront procéder au plus tôt à la cession, dès que les conditions suspensives auront été réalisées. Quant aux acquéreurs, ils pourront être tentés, soit de repousser le transfert de propriété (« closing ») à une date ultérieure, essayant ainsi d’éviter au maximum les effets de la pandémie sur la société cible et son activité, soit au contraire d’accélérer le processus pour gérer au plus près les effets de la crise et ne pas laisser dépérir l’actif de l’entreprise cible.

S’agissant des modalités du closing, le COVID 19 ne constitue pas un obstacle à la réalisation de l’opération dès lors que le transfert juridique des titres de la société cible est réalisable et que l’acquéreur ou l’investisseur est en mesure de remplir son obligation de payer le prix de cession à la date prévue.

 

(ii) l’importance de la notion de date butoir 

Pour éviter d’être tenu par un engagement perpétuel, interdit par la loi, mais aussi pour fixer un calendrier de réalisation de l’opération conforme à ce qu’elles auront négocié, les parties et leurs conseils prévoient parfois une date butoir au-delà de laquelle le compromis de cession est résilié de plein droit. A cette date, elles sont alors libérées de leurs engagements mais peuvent toutefois, si elles le prévoient, être tenues de payer des dommages et intérêts s’il est prouvé qu’en raison de leur comportement, elles sont à l’origine de la non-réalisation de l’opération.

Si les circonstances actuelles liées au COVID 19 et aux suites de la crise sanitaire peuvent retarder, voire empêcher la réalisation de certaines conditions avant cette date butoir, les parties seront également avisées de se rapprocher pour renégocier au plus tôt ce délai. 

A défaut, l’une d’entre elle pourrait commettre un manquement à ses obligations de meilleurs efforts et de bonne foi. 

Cette notion de date butoir devra donc à l’avenir être prise en compte avec soin dans l’élaboration du calendrier des opérations de M&A ce qui ne sera d’ailleurs pas sans conséquence sur les engagements souscrits par les parties pendant la période intermédiaire.

 

(iii) La gestion de la période intermédiaire

Cette période court de la signature de la promesse ou du contrat de cession par les parties jusqu’à la réalisation définitive de l’opération. Or, ce laps de temps qui peut généralement varier de quelques semaines à deux/trois mois en moyenne, peut s’avérer sensible en termes d’exploitation, de gestion de trésorerie de la cible ou de niveau de BFR.

Il est clair que la référence habituelle à une « gestion de l’entreprise dans le cours normal des affaires » pourra, selon le contexte, s’avérer largement insuffisante pour protéger les intérêts de l’acquéreur.

Dans certains cas et sous réserve du maintien de la confidentialité des informations échangées entre les parties, les accords prévoient alors à la charge du cédant un engagement de tenir l’acquéreur informé des questions importantes, affectant l’activité de la société et de ses filiales, ce qui doit nécessairement inclure les conséquences d’une pandémie tel que le COVID 19. Le cédant s’obligera alors à fournir toutes informations qui lui seront raisonnablement demandées par l’acquéreur.

Au cours de cette période intermédiaire, le cédant peut également s’interdire, sauf accord préalable de l’acquéreur, de réaliser un certain nombre d’opérations dépassant un seuil de matérialité prédéfini (décision d’embauche, décision d’investissement d’équipements, souscription de nouveaux concours bancaires, résiliation d’accords commerciaux…).

Le rallongement des délais de levée des conditions suspensives constaté dans certaines opérations ne peut qu’accroître les risques d’immixtion de l’acquéreur dans la gestion de la société cible et, par voie de conséquence, sa potentielle responsabilité quand bien même l’acquéreur n’est ou ne deviendrait finalement pas propriétaire des titres de la cible. 

Rappelons ici qu’un cédant est généralement libéré de son engagement d’indemnisation au titre des déclarations et garanties pour tout préjudice subi par la société cible du fait d’un acte de l’acquéreur. Plus un acquéreur interviendra dans la gestion de la société cible durant cette période intermédiaire, plus il affaiblira sa position dans le cadre d’une éventuelle réclamation au titre des déclarations et garanties. 

 

(iv) Le soin à apporter au libellé de la clause de prix 

Pour certaines opérations, « l’effet COVID 19 » aura nécessairement un écho dans la négociation du prix de cession.

Si l’acquéreur peut naturellement vouloir privilégier un mécanisme d’ajustement permettant de tenir compte de l’évolution de l’activité de la cible (niveau d’EBITDA, de chiffres d’affaires, de dette nette ou encore de BFR, …) , le cédant sera en revanche plus enclin à favoriser un prix ferme et non révisable (clause dite de « lock box »).

Les modalités de paiement du prix devront, si nécessaire, être étudiées avec davantage d’attention pour permettre à un acquéreur de retenir ou de sécuriser une partie du prix (paiement différé, clause de séquestre, clause de complément de prix) en cas d’évènement tel que la survenance du COVID-19. 

De même, si elles anticipent un possible rallongement des délais de leur opération, les parties seront avisées de négocier le sort des frais de la transaction et des coûts générés par certaines opérations intercalaires (recapitalisation, apport de titres, fusion, transformations statutaires de la cible ou de ses filiales, …), 

 

(v) Les déclarations et garanties

La plupart des contrats de cession stipulent en effet des déclarations et garanties consenties par le cédant au bénéfice de l’acquéreur. Elles sont accordées au stade de la promesse (signing) et sont généralement réitérées à l’identique le jour du closing. La validité de certaines déclarations et garanties devra être attentivement appréciée au regard des conséquences et/ou préjudices subis du fait du COVID 19.

Une attention particulière devra être apportée aux déclarations relatives à la période commençant le 1er jour de l’exercice financier en cours, jusqu’à la date du closing et qui prévoient qu’aucun événement (générant un préjudice pour la société cible) n’est intervenu au cours de cette période.

L’acquéreur ne pourra pas automatiquement se retirer de l’opération ou la renégocier, si la déclaration s’avère erronée ou inexacte. Mais il pourrait, une fois l’opération réalisée, tenter de réclamer le remboursement d’une partie du prix correspondant à la perte subie par la société cible du fait du COVID 19. 

 

(vi) Le libellé des clauses de force majeure et d’imprévision 

Jusqu’alors, ces clauses ont été parfois délaissées par la pratique. D’une certaine manière, le COVID 19 renforce leur intérêt.

En matière contractuelle, la force majeure (définie par l’article 1218 du Code civil) permet à un cocontractant, si certaines conditions sont remplies, de s’exonérer de ses obligations s’il est dans l’impossibilité de les exécuter. Cette règle étant légale, nul besoin de la stipuler expressément dans le contrat. En revanche n’étant pas d’ordre public, il est possible pour les parties, d’y renoncer ou d’y déroger contractuellement.

S’agissant des opérations de M&A, le COVID 19 est bien évidemment un évènement extérieur à la volonté des parties. En fonction de la date à laquelle la promesse ou le contrat de cession a été signé, l’imprévisibilité qui caractérise la force majeure pourrait être reconnue. L’ordonnance du 24 mars 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire avec effet rétroactif au 12 mars 2020 servira certainement de critère d’appréciation sur ce point.

Quant au critère de l’irrésistibilité qui caractérise également la force majeure, il semble difficile de considérer que le COVID19 rende impossible l'exécution par un acquéreur de son obligation au titre du contrat de cession. Certes, les effets de la crise sanitaire peuvent avoir des conséquences diverses sur l’équilibre de l’opération. Mais la pandémie et ses conséquences n’empêchent pas, matériellement, l’exécution du contrat de cession par un acquéreur.

La jurisprudence considère en effet jusqu’à présent que les cas de force majeure ne permettent pas aux débiteurs d’obligations pécuniaires (c’est-à-dire le paiement du prix de cession) d’échapper à leurs obligations de payer.

S’agissant de la société cible et notamment de l’exécution des obligations mises à sa charge en vertu du contrat de cession, le COVID 19 peut aussi constituer un cas de force majeure susceptible d’impacter ses activités. Une telle qualification peut alors permettre à la société cible d’être exonérée de certaines de ses obligations vis-à-vis de ses fournisseurs ou clients, ou encore d’obtenir des délais de paiement.

S’agissant enfin de la notion juridique d’imprévision, celle-ci est légalement définie par l’article 1195 du Code civil.

Pour qu’il y ait imprévision, il faut un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat, c’est-à-dire un changement tel que celui-ci rende l’exécution des accords excessivement onéreuse. En outre, la partie affectée par ce changement de circonstances n’aurait d’ailleurs pas accepté d’en assumer le risque. Dans ce cas de figure, si les parties n’ont pas écarté le bénéfice de l’article 1195 du Code civil, elles sont dans l’obligation soit de renégocier le contrat, soit d’y mettre un terme ou, en cas de désaccord, de demander au juge compétent de décider du sort du contrat en se substituant, le cas échéant, aux parties.

La pratique des opérations de M&A tend jusqu’à présent à écarter quasi systématiquement, par une clause expresse, le bénéfice de cette disposition légale, et ce dans le but de sécuriser au maximum la mise en œuvre des opérations et d’écarter l’aléa d’une renégociation d’accords parfois négociés durant plusieurs mois.

Du reste, pour les contrats conclus à compter du 1er octobre 2018, le bénéfice de l’imprévision de l’article 1195 du Code civil, n’est pas applicable, de droit, aux cessions de contrôles opérées sur les titres de SA et de SAS. 

Sauf pour les parties à écarter par une disposition contractuelle expresse l’application du régime de révision de leurs accords, pour imprévision, celui-ci s’appliquera en matière de cession de parts sociales de SARL, de SCI ou de SNC.

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LEXYMORE et son équipe M&A - Droit des Sociétés se tiennent à votre disposition pour vous conseiller en fonction de vos objectifs, que vous soyez acquéreur ou cédant.

Article rédigé par :

Ronan LE MOIGNEAvocat Associé

Ronan LE MOIGNE intervient depuis de nombreuses années dans les principaux domaines du droit des affaires. A ce titre, il est régulièrement amené à conseiller les...

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