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Cession de contrôle et clause de complément de prix : solution miracle ou fausse bonne idée ?

Publié le 29 août 2019

Lors d’une cession de contrôle d’une société ou d’un groupe de sociétés, le prix peut constituer un point d’achoppement dès le stade des pourparlers.

Afin de rapprocher la position de chacune des parties, la pratique comptable et juridique liées aux opérations de cession de contrôle de sociétés a conduit à introduire dans les protocoles d’acquisition une clause de complément de prix, dite également clause« d’earn out ».

  

Quel en est le principe ?

 

Une fraction du prix de vente est payée à la signature des accords définitifs puis, selon les conventions négociées par les parties, un complément de prix variable est versé au vendeur, sous réserve de l’atteinte par l’entreprise d’un certain niveau de performance ultérieure, sachant qu’en pratique, cette partie variable du prix ne saurait excéder environ 20 % du prix global de l’opération. 

À première vue, il s’agit donc là d’un mécanisme « gagnant-gagnant » : ce qui est bon pour le vendeur est bon pour l’acquéreur.

Parce qu’il dispose a priori d’une bonne connaissance de l’entreprise et de son exploitation, le vendeur est plus naturellement enclin à intégrer dans sa valorisation les performances potentielles que la société est capable de dégager à l’avenir. En tant que vendeur, il peut y trouver en effet un intérêt, car ce mécanisme permet au cédant d’essayer de maximiser son prix de cession, en faisant l’hypothèse que la partie variable du prix indexée sur les performances futures sera plus ou moins importante.

 

À l’inverse, l’acquéreur souhaite minimiser son risque d’acquisition en ne prenant strictement en compte que l’existant dans les états financiers de référence de la société, objet de la transaction.

On peut véritablement parler d’un mécanisme « gagnant-gagnant », dès l’instant où l’acquéreur constate une appréciation de la valeur de la société et de la profitabilité de son investissement et que, simultanément, le vendeur a la perspective d’un complément de prix intéressant qu’il n’aurait pas perçu en l’absence de recours à ce type de clause.

Si de surcroît, comme cela est parfois négocié, le vendeur demeure en partie aux commandes de la société cédée ou conserve la charge de certaines fonctions opérationnelles, techniques ou encore commerciales au sein de l’entreprise, dans le cadre d’un accompagnement post-cession, l’acquéreur profite alors des compétences de gestion du vendeur tout au long de la période pour laquelle l’earn out a été négocié. 

 

La clause de complément de prix n’est pourtant pas la réponse adaptée à toutes les situations

 

On comprend aisément que le marché sur lequel évolue la société et la conviction des parties que l’entreprise est en capacité de dégager des résultats supplémentaires sont des prérequis indispensables à la négociation d’une telle clause.

A fortiori, la négociation d’un earn out sur la reprise d’une société financièrement fragilisée ou dont les perceptives d’évolution à deux/trois ans s’avèreraient plus ou moins aléatoires, serait dépourvue de sens. 

En pratique, la taille de l’entreprise est sans réelle incidence sur le recours à la clause d’earn out.

 

La mise en place d’un tel mécanisme se rencontre moins fréquemment d’ailleurs dans des cessions d’entreprises patrimoniales, qui certes possèdent un potentiel certain, mais affichent une régularité en termes de niveau de chiffre d’affaires et de performances économiques. 

A contrario, la cession de contrôle de sociétés en forte croissance, à l’instar de certaines start-up dans les domaines des biotechnologies, du numérique ou encore de l’intelligence artificielle, peuvent conduire plus souvent à recourir au mécanisme de complément de prix dans la mesure où, le développement de telles sociétés est souvent très lié à l’implication technique et/ou opérationnelle de leurs dirigeants fondateurs. 

 La notion de complément de prix suppose en réalité que les parties s’entendent aussi précisément que possible sur ce qui constituera la gestion future de la société, une fois réalisée l’opération de cession de contrôle, ainsi que la définition du niveau de performance réellement attendue de l’entreprise et les moyens associés pour y parvenir (tant en termes de budget prévisionnel que de niveau d’investissement escompté).

 Or, l’approche que l’acquéreur aura de ces différents sujets et la façon d’y répondre ne sera pas nécessairement identique à celle du vendeur.

C’est la raison pour laquelle la clause de complément de prix doit être maniée avec la plus grande précaution et ce d’autant que ce type de mécanisme est susceptible de présenter un risque de contentieux avéré si tous ses aspects ne sont pas correctement traités par les conseils, qu’il s’agisse des hommes du droit ou du chiffre, qui concourent ensemble à la mise en place de l’opération.

  

Le plus grand soin doit être apporté à l’élaboration et la mise en place de la clause de complément de prix

 

Les parties ne sont jamais à l’abri de problème d’égo ou de simples frictions entre elles. 

La mise en place d’une clause d’earn out impose donc de se poser au préalable plusieurs questions : que se passe-t-il si la société cible ne conserve pas un périmètre d’activités sensiblement constant, au moins jusqu’au terme fixé par la clause ? Quelle incidence une réorganisation possible de la société par les nouveaux actionnaires pourrait avoir sur le calcul du résultat et partant sur la fixation d’un complément de prix ? Quel rôle et quelles responsabilités le vendeur conservera-t-il post acquisition dans le développement commercial ou technique de l’entreprise ? Que se passerait-il en cas de départ prématuré du vendeur au cours de cette même période ?

 

L’expérience prouve que le maniement des clauses d’earn out suppose un bon niveau d’entente entre les parties, dès le stade de pourparlers et bien au-delà. 

 

Il serait d’ailleurs illusoire de croire que ce type de mécanisme juridique pourrait permettre aux intéressés, au-delà d’une convergence de position sur le prix négocié, de rapprocher comme par enchantement leurs points de vue sur le présent et le futur de la société et aplanir par anticipation toute difficulté.

En effet, le facteur humain demeure toujours primordial dans la réussite d’une opération de cession de contrôle (LBO, LMBO, …) : même volonté de travailler ensemble en cas de maintien partiel du management de la cible, partage d’une vision globalement identique de l’entreprise, de son marché et de son mode d’exploitation durant la période de validité de la clause d’earn out

 

Des précautions sont donc à prendre.

  • Il convient en premier lieu d’encadrer dans le temps le fonctionnement et la durée de validité de la clause sur une période comprise le plus souvent, dans la pratique, entre 12 et 36 mois. Une durée limitée permet en effet d’éviter que par l’effet du temps ne surgisse des crispations qui seraient par la suite à l’origine de simples mésententes ou d’un conflit d’ordre relationnel plus grave entre acquéreur et vendeur.
  • En second lieu, la nouvelle gouvernance de la société qui sera mise en place doit laisser au vendeur la possibilité de s’assurer par lui-même de la manière dont le résultat de l’entreprise sera construit, d’où la nécessité pour le vendeur de disposer d’un accès au processus d’élaboration de l’information comptable et financière et, plus globalement, de prévoir une procédure de revue contradictoire lors de l’arrêté des états comptables de la société qui serviront à la mise en jeu de la clause de complément de prix.

 

Les accords scellant l’opération pourront d’ailleurs prévoir un droit du vendeur à une information renforcée sur les comptes sociaux, tout en veillant cependant à ce que celui-ci demeure lui-même en retrait sur la gestion de la société dont il a cédé le contrôle.

Le vendeur doit également pouvoir donner son accord, si besoin, aux  modifications qui seraient apportées par la suite aux méthodes comptables appliquées par la société, mais aussi à la date de clôture des comptes ou encore aux retraitements comptables, afin de neutraliser les effets des opérations de transmission universelle de patrimoine, fusion, ou autres opérations assimilées si celles-ci étaient menées durant la période de l’earn out.

 

D’autres écueils doivent également être évités, car le plus souvent l’earn out reste perçu par le vendeur comme une potentialité de prix futur, mais dépendant d’éléments dont il considère à tort ou à raison ne pas avoir réellement une maîtrise suffisante. 

  • C’est ainsi en troisième lieu, que les parties doivent adopter d’un commun accord une définition aussi rigoureuse que possible reposant sur un (ou plusieurs) référentiel(s) comptable(s) pertinent(s) pour la société concernée : résultat net avant ou après impôt, chiffre d’affaires HT, résultat d’exploitation ou encore solde financier tel que l’EBE (excédent brut d’exploitation, qui relève d’une définition précise en droit comptable par opposition à la notion d’EBITDA (earnings before interest tax depreciation and amortization), couramment utilisé dans le monde anglo-saxon, mais sans définition dans notre droit comptable).

 

Le recours à un exemple chiffré dans la documentation juridique à partir d’une formule de calcul précise sera ici opportun. 

Lors de la négociation de la clause, le vendeur veillera à ce que les paramètres choisis pour mesurer la performance ultérieure de la société soient aussi faiblement impactés que possible par les choix de gestion des nouveaux actionnaires et/ou du management de l’entreprise. 

L’un des principaux risques en la matière demeure en effet celui lié à la nullité de la vente pour indétermination du prix. Or, les tribunaux ont de longue date interprété les dispositions des articles 1591 et 1592 du Code civil (applicables à toute opération de cession d’actions ou de parts sociales) en affirmant que le prix de la vente devait nécessairement être déterminé ou déterminable.  

 

Dans l’éventualité d’un désaccord lors de la mise en jeu de la clause de complément de prix, il est d’ailleurs de bonne pratique de recourir à la désignation rapide d’un expert indépendant en application des dispositions soit de l’article 1592 du Code civil soit de l’article 1843-4 du même code et de limiter ainsi tout risque d’annulation du contrat. La documentation juridique devra anticiper chacun de ces éléments.

  • En quatrième lieu, les parties devront s’accorder, si besoin, sur le maintien du périmètre de la société cible, tant en termes d’activité que de participations, s’il en existe. 

 

S’interdire d’emblée de modifier ce périmètre pourrait apparaître contraignant pour l’acquéreur. Prendre l’engagement de ne pas restructurer la société et de la maintenir dans la continuité de ses conditions d’exploitation au cours de la période d’earn outpeut limiter la liberté de gestion du nouvel investisseur et sa stratégie de développement. 

Dans ce cas, les parties s’accorderont sur la nature et l’étendue des éventuels retraitements comptables à opérer dans le but de neutraliser l’impact de ces changements. 

Parfois, la négociation de la clause d’earn out amènera les parties à s’interroger sur la neutralisation de certains frais générés par l’intégration de la société cible au sein d’un groupe acquéreur qui dispose de sa propre politique (frais de siège et coûts de prestation intragroupe, frais induits par une politique fournisseur, incidences liés au statut des salariés en raison d’une volonté d’harmonisation du groupe acquéreur (frais de mutuelles, intéressement …).

 

Les incidences fiscales de la clause de complément de prix 

 

Sur le plan fiscal enfin, notons que les jalons sont clairement posés depuis près d’une vingtaine d’années par la loi de finances de 2000.

Le code général des impôts dispose en effet dans son article 150-0 A, I, 2 que le complément de prix versé au vendeur en exécution de la clause par laquelle l’acquéreur s’oblige à lui verser « un complément de prix exclusivement déterminé en fonction d’une indexation en relation directe avec l’activité de la société dont les titres sont cédés » est imposable au titre de l’année au cours de laquelle la fraction du prix variable est reçue, selon le régime des plus-values des valeurs mobilières.

Cela signifie par conséquent que l’imposition de la plus-value fiscale dégagée par le vendeur n’est prise en compte qu’au moment où le versement du complément de prix est réalisé et que si, par exemple, au terme d’un délai de deux ans, l’application de la clause d’earn out déclenche un complément de prix, celui-ci sera fiscalisé entre les mains du vendeur au titre d’un revenu perçu par celui-ci en n+2 et donnera lieu à paiement l’année suivante.

 

Attention toutefois à ce que le complément de prix demeure aléatoire dans son montant au moment où celui-ci est négocié. À défaut, cela rendrait le complément de prix imposable dès l’année de la cession alors que celui-ci n’a pas encore été perçu. Pire en présence d’un complément de prix qui apparaîtrait prévisible et certain dans son montant, l’administration fiscale pourrait vouloir requalifier la somme, soit en salaire, soit en revenu de gérance, si au cours de la période suivant la cession le vendeur est demeuré dans un cas salarié de la société cible ou, dans l’autre, mandataire social.

 

Si la situation s’y prête et sous ces réserves, la clause de complément de prix peut s’avérer un outil efficace pour tracer le scénario d’une cession de contrôle réussie. 

 

LEXYMORE et son équipe M&A - Droit des Sociétés se tiennent à votre disposition pour vous conseiller en fonction de vos objectifs, que vous soyez acquéreur ou vendeur.

 

Article rédigé par Ronan Le Moigne et Julie Hawecker

Article rédigé par :

Ronan LE MOIGNEAvocat Associé

Ronan LE MOIGNE intervient depuis de nombreuses années dans les principaux domaines du droit des affaires. A ce titre, il est régulièrement amené à conseiller les...

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