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La donation de la nue-propriété d’un bien deviendrait-elle un abus de droit fiscal ?

Publié le 01 février 2019

Le démembrement de propriété dans un cadre familial est une opération très classique consistant pour les parents à donner à leurs enfants la nue-propriété d’un ou de plusieurs biens immobiliers : leur résidence principale, la maison de famille, l’appartement à la montagne… C’est un acte de transmission du patrimoine qui prépare la succession en ce que le partage des biens est ainsi anticipé.

Au plan fiscal, le schéma a un intérêt non négligeable : la valorisation de la nue-propriété pour l’application des droits de donation se fait sur la base de l’âge du donateur (qui conserve l’usufruit) selon un barème par tranche de 10%, dégressif par tranche d’âge de 10 ans. Par exemple, à 51 ans, l’usufruit vaut 50%, à 81 ans plus que 20%. Inversement, la nue-propriété vaut respectivement 50% et 80%. Plus tôt on transmet la nue-propriété, moins on paye de droits.

Si on cumule cet élément avec la franchise de 100 000 € par donateur et donataire, les parents qui, à 51 ans, donnerait la nue-propriété d’un bien commun à parts égale à leurs deux enfants, pourraient réaliser l’opération sans droits de donation jusqu’à une valeur en pleine propriété de 800 000 €. 

 

A la mort du donateur, l’usufruit rejoint la nue-propriété sans entrer dans la succession et sans susciter donc le paiement de droits supplémentaires. 

 

Ce schéma ancestral pourrait être perturbé par une disposition de la loi de finances pour 2019 : la création d’un nouvel abus de droit fiscal à l’article L 64 A du Livre des procédures fiscales qui s’appliquera, à compter de 2020, non plus aux opérations réalisées dans un but « exclusivement » fiscal (ça, c’est l’article L 64 qui continue d’exister), mais dans un but « principalement » fiscal.

La nuance est de taille.

« Exclusivement », cela signifie qu’il n’existe pas d’autre but à l’opération. Ou inversement, qu’il n’y a pas d’abus de droit si le contribuable est en mesure de démontrer qu’il existait d’autres buts à l’opération : transmission du patrimoine, restructuration de l’entreprise, efficacité de l’organisation, etc… 

« Principalement » doit nécessairement conduire à identifier tous les buts de l’opération et à les peser pour déterminer lequel d’entre eux est le but « principal ». Comment « pèse »-t-on des buts ? Personne n’en sait rien ! 

Cette incertitude a conduit de nombreux conseils à s’interroger sur la qualification de l’opération classique de donation de nue-propriété au regard de ces nouvelles dispositions. La transmission de la nue-propriété d’un bien à ses enfants est-elle une opération réalisée dans un but principalement fiscal ? Quand on examine son grand intérêt fiscal, on peut être tenté de penser que, sinon le contribuable, au moins l’administration y répondrait par l’affirmative. De sorte que cela condamnerait cette stratégie assez simple et très répandue de transmission anticipée de patrimoine.

L’incertitude s’est suffisamment développée pour que le Ministère de l’action et des comptes publics se fende d’un communiqué de presse, le 19 janvier dernier, indiquant d’une part que, compte tenu d’une entrée en vigueur différée de la mesure en 2020, l’administration aurait le temps de délimiter les contours du texte en relation avec les professionnels du secteur, d’autre part que la crainte exprimée était injustifiée car « la loi fiscale elle-même encourage les transmissions anticipées de patrimoine entre génération […][qui sont un moyen de faciliter la solidarité intergénérationnelle ».

Ce communiqué fait certes baisser la pression sur le point précis de cette donation classique. Mais elle met en lumière le pouvoir énorme que va bientôt détenir l’administration fiscale dans l’appréciation de ce caractère « principal », pouvoir que la loi ne vient plus limiter, avec un transfert assez inquiétant du pouvoir législatif vers le pouvoir exécutif.

Il conviendra d’être attentif aux développements futurs de cette question et désormais d’analyser avec une grande acuité et une précision renforcée les opérations juridiques menées dans un cadre privé mais également professionnelle, l’article L 64 A ayant d’abord été conçu pour la fiscalité d’entreprise.

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