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Une bonne gestion du risque n'a pas de prix !

Publié le 28 octobre 2016


L’affaire Kerviel / Société Générale, parce qu’elle concerne une institution bancaire notoire, un trader à la fois coupable et victime, des enjeux financièrement stratosphériques et aujourd’hui politiques par leurs retombées fiscales, paraît tout d’abord totalement atypique et bien loin du quotidien des chefs d’entreprise.


Et pourtant, les leçons à tirer de cette affaire sont plus que jamais au cœur de la vie des entreprises.

Chacun se souvient que par arrêt confirmatif du 24 octobre 2012 de la Cour d‘Appel de Paris, Monsieur Kerviel a été déclaré pénalement coupable d’un certains nombre d’infractions dont le délit d’abus de confiance, et condamné à payer à son ancien employeur la somme de 4,9 milliards d’euros à titre de dommages et intérêts.


Sur pourvoi de l’ancien trader, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait, par arrêt du 19 mars 2014, partiellement cassé la décision de la Cour d’appel de Paris, sur les seules dispositions concernant l’action civile.


Selon la Cour de Cassation, dans la mesure où, les juges parisiens avaient relevé des fautes commises par la Société Générale « ayant concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières », ils auraient dû appliquer un principe bien connu des civilistes selon lequel lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production d’un dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée.


En d’autres termes, et opérant un revirement jurisprudentiel pour les juridictions pénales, la Cour de Cassation a jugé qu’il fallait tenir compte d’une éventuelle faute de la victime, en l’occurrence de l’employeur, même si les fautes pénales du salarié étaient confirmées.


L’affaire a donc été renvoyée devant la Cour d’Appel de Versailles afin que les juges statuent exclusivement sur la question de l’indemnisation du préjudice de la Société Générale.


Tout l’enjeu de ce procès était donc de savoir si le banquier employeur n’avait pas concouru à son propre dommage par un comportement fautif, impliquant la diminution ou la suppression de son droit à obtenir réparation.


Le ministère public a soutenu sans ambiguïté que les fautes de la banque étaient en relation avec la commission de l’infraction car elles avaient permis, facilité et favorisé les actes frauduleux ayant généré le dommage. Ces fautes pouvaient justifier la perte totale du droit à réparation de la Société Générale.

Monsieur Kerviel a soutenu que « les manquements intentionnels et inintentionnels » de la banque réduisaient à néant son droit à réparation.


La Société Générale a fait plaider qu’elle n’avait commis que de « simples fautes de négligence », provoquées par l’attitude de son ancien salarié. Selon elle, la charge de la réparation du préjudice financier devait peser majoritairement sur Monsieur Kerviel compte tenu de l’extrême gravité de ses fautes.


Dans son arrêt du 23 septembre 2016, la Cour d’Appel de Versailles, a implicitement durement sanctionné la banque, en ramenant le montant des dommages et intérêts que son ancien salarié devait lui payer de la somme de 4,9 milliards d’euros à 1 million d’euros.


Dans leur appréciation souveraine des faits du dossier, les juges d’appel ont estimé que la banque victime avait très largement concouru à la réalisation de son préjudice, compte tenu des faiblesses de son dispositif de contrôle interne, tant au niveau de sa conception, de sa mise en œuvre que de son pilotage : « (…) quels que soient la ruse et la détermination de l’auteur des faits, ou la sophistication des procédés employés, un tel préjudice n’aurait pas pu être atteint sans le caractère éminemment lacunaire des systèmes de contrôle de la Société Générale, qui ont généré un degré de vulnérabilité élevé. Cette organisation défaillante et cette accumulation de manquements en matière de sécurité et de surveillance des risques, qui pré-existait aux faits, d’une part a permis la commission des délits et retardé leur détection, d’autre part a eu un rôle causal essentiel dans la survenance et le développement du préjudice (…) ».


La sanction est d’autant plus lourde pour la banque que sa qualité d’établissement financier la soumettait à des obligations règlementaires très contraignantes en matière de surveillance du risque.

Pour autant, toute entreprise est confronté à des risques de plus en plus nombreux et diversifiés (risques sociaux, financiers, fiscaux, économiques, juridiques, environnementaux, technologiques, industriels etc.) : tout dirigeant sait qu’il doit anticiper les risques, les identifier, les mesurer pour ne pas déraper, les gérer et chacun sait que le risque zéro n’existe pas.


Le développement d’une entreprise passe d’ailleurs par l’acceptation d’une prise de risques.


Par conséquent, pour minimiser son préjudice ou préserver ses chances d’obtenir une indemnisation en Justice, l’entreprise se doit de mettre en place des systèmes d’audit et de contrôle des risques susceptibles de détecter rapidement toute anomalie.


A l’heure de la mondialisation et des avancées technologiques, les entreprises évoluent dans un environnement de plus en plus incertain et mouvant, avec une complexification des activités et des règlementations.


Les dirigeants ont plus que jamais besoin de s’entourer de partenaires, professionnels spécialisés, pour les aider et les accompagner dans l’audit et la gestion des risques.


Si l’audace peut être créatrice de richesse, l’imprudence peut être fatale.


Comprendre les limites entre ce qui peut être osé en toute légalité et ce qui sera sanctionné n’a pas de prix pour une entreprise !


La Société Générale, comme toute entreprise, fait aujourd’hui les frais de ses négligences fautives.

 

Article rédigé par :

Caroline PRUNIÈRESAvocate Associée

Après plusieurs années d’exercice professionnel à Paris au sein de cabinets d’avocats d’affaires à dimension internationale (Salès Vincent &...

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